Archives de l'État en Belgique

Notre mémoire à tous !

Menu

March21 : à la découverte des archives médiévales inexplorées

Texte petit  Texte normal  Texte grand
15/06/2023 - Recherche - Inventoriage - Archives de l'État à Namur

A ce jour, des dizaines de fonds d’archives de la fin du Moyen Âge demeurent non inventoriés et pratiquement inexplorés. Parmi ceux-ci figurent le chartrier de Notre-Dame du Vivier à Marche-les-Dames, de Saint-Bernard-sur-l’Escaut à Hemiksem, du Val-des-Vierges à Audenarde ou encore de l’hôpital de Rebecq-Rognon. Lancé en février 2022, le projet March21 vise à poursuivre le travail d’inventaire, d’étude et de valorisation de ces plus anciennes collections conservées par les Archives de l’État. Nicolas Ruffini-Ronzani a d'ores et déjà inventorié une partie du fonds de l’abbaye bénédictine Saint-Jacques de Liège, dont les archives ont fait l’objet d’une restauration.

Depuis 2019, la Politique scientifique fédérale (BELSPO) finance le programme de recherche « FED-tWIN », dans le cadre duquel des chercheurs post-doctoraux sont recrutés conjointement par un Établissement scientifique fédéral (ESF) et une université. L’objectif est de promouvoir des synergies entre des milieux universitaires et des institutions qui, par le passé, ont parfois eu tendance à vivre en vases clos. En cinq années, plus d’une centaine de profils de recherche ont été créés, à destination de chercheuses et de chercheurs qui partagent leur temps entre deux établissements partenaires. En sciences humaines et sociales, ces programmes de recherche ont uni des universités néerlandophones et francophones à la Bibliothèque royale de Belgique, aux Archives de l’État, à l’Institut royal du Patrimoine artistique, aux Musées royaux d’Art et d’Histoire et aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.

MArch21. Medieval Archives in 21st-century Belgium: Management, Investigation, Promotion est un des profils de recherche financés dans le cadre du programme FED-tWIN. Depuis février 2022, Nicolas Ruffini-Ronzani, docteur en histoire, a été recruté par l’Université de Namur, et plus particulièrement le centre « Pratiques médiévales de l’écrit – PraME », et les Archives de l’État, sous la direction conjointe de Jean-François Nieus (FNRS/UNamur) et d’Emmanuel Bodart (Archives de l’État à Namur). Ce programme vise à poursuivre le travail d’inventaire, d’étude et de valorisation des plus anciennes collections conservées par les Archives de l’État. Selon une opinion commune, la majorité des fonds d’archives médiévaux conservés en Belgique auraient depuis longtemps été identifiés, décrits et étudiés par des générations d’historiens et d’archivistes. Si ce présupposé n’est pas tout à fait faux pour la période antérieure aux « révolutions de l’écrit » des XIIe et XIIIe siècles, il est profondément erroné en ce qui concerne les trois derniers siècles du Moyen Âge. Des dizaines de fonds d’archives, ecclésiastiques comme laïques, demeurent à ce jour non inventoriés et pratiquement inexplorés. Ils sont, par conséquent, quasiment inaccessibles aux historiens médiévistes et aux étudiants pour des recherches scientifiques. MArch21 souhaiterait remédier à cette situation, en organisant le travail autour de trois axes.

1. Production de nouveaux inventaires analytiques

Le principal objectif de MArch 21 est de faciliter l’accès aux collections médiévales conservées par les Archives de l’État. Contrairement aux idées reçues, une part importante de ces fonds sont encore en attente de leur inventaire analytique. Les instruments de recherche existants présentent souvent un caractère trop sommaire pour rendre aux chercheurs tous les services qu’ils seraient en droit d’attendre, car ils ne fournissent généralement aucune analyse du contenu des actes et n’en décrivent presque jamais les aspects matériels.

Il n’est guère possible, pour l’instant, de fournir une liste exhaustive des fonds en attente d’inventoriage – un « cadastre » de ceux-ci aurait d’ailleurs toute son utilité… Une série d’exemples glanés au hasard des dépôts suffit à prouver que le besoin de tels travaux est réel. De très riches fonds restent encore mal connus. Tel est le cas du chartrier de l’abbaye Saint-Jacques de Liège (un peu moins de 2000 actes, du XIe au XVIIIe siècle), de celui de Notre-Dame du Vivier à Marche-les-Dames (approximativement 1000 chartes, majoritairement pour les XVe-XVIe siècles), de Saint-Bernard-sur-l’Escaut à Hemiksem (environ 1300 chartes, du XIIe au XVIIIe siècle), du Val-des-Vierges à Audenarde (nombre d’actes inconnu, du XIIIe au XVIIIe siècle), ou encore de l’hôpital de Rebecq-Rognon (nombre d’actes inconnu, du XIIIe au XVIIIe siècle). Si les archives ecclésiastiques sont, bien évidemment, concernées au premier chef par ce besoin d’inventaire, de tels manques se repèrent également au niveau des fonds issus d’institutions laïques ou de familles aristocratiques. On songe, par exemple, aux archives de la seigneurie de Lexhy. Dès février 2022, un travail d’inventoriage a été entrepris pour le fonds de l’abbaye bénédictine Saint-Jacques de Liège, dont les archives ont, en outre, fait l’objet d’une restauration. À l’heure où nous écrivons ces lignes, une première moitié du fonds a d’ores et déjà été inventoriée.

Il est prévu de prolonger ces inventoriages par un travail de repérage des archives médiévales actuellement conservées en dehors des dépôts des Archives de l’État, dans des collections privées. Cela concerne d’abord et avant tout des institutions ecclésiastiques – les archives d’Aywières sont, par exemple, conservées à l’abbaye de Maredsous, tandis que celles des prémontrés de Parc (Heverlee) se trouvent toujours in situ –, mais de très beaux fonds sont également conservés dans des musées (l’hôpital Notre-Dame à la Rose de Lessines, par exemple), dans des bibliothèques (les archives de l’abbaye de Floreffe sont « éclatées » entre les Archives de l’État à Namur et le Grand Séminaire de Namur), et même dans… des écoles secondaires (Bonne-Espérance). En Flandre, le portail Archiefbank offre une vue très claire de la dissémination de ces collections d’Ancien Régime en dehors des Archives de l’État. Il n’existe pas d’instrument de travail équivalent pour la Wallonie et pour Bruxelles. L’un des objectifs du programme March21 est de repérer ces fonds médiévaux « extérieurs » aux Archives de l’État, afin de signaler leur existence et, si besoin en est, d’aider à en assurer une meilleure conservation à long terme. Même si ces archives se trouvent entre les mains de particuliers ou d’institutions, elles appartiennent aussi patrimoine culturel de la Belgique et méritent, à cet égard, que leur transmission soit garantie dans les meilleurs conditions possibles.

2. Étude des pratiques de l’écrit

L’étude de la literacy est sans conteste l’un des champs de recherche les plus novateurs et les plus fertiles de l’histoire médiévale depuis la fin des années 1970. La croissance spectaculaire de l’usage de l’écrit et les conséquences sociales, politiques et culturelles de cet essor se trouvent actuellement au cœur de nombreuses enquêtes. En partant des fonds inventoriés, mais en ne se limitant pas nécessairement à ceux-ci, MArch21 souhaite approfondir notre connaissance des pratiques médiévales de l’écrit à l’échelle des anciens Pays-Bas, en faisant appel à trois types de méthodes complémentaires :

2.1. Les sciences auxiliaires de l’histoire. En tirant parti des apports des sciences auxiliaires de l’histoire (diplomatique, sigillographie, codicologie, etc.), le programme vise à favoriser la réalisation d’enquêtes à nouveaux frais sur les archives inventoriées. De premiers travaux de ce genre pourraient être menés sur le dossier de Saint-Jacques de Liège, avec une étude sur la gestion du domaine abbatial après 1200 – dans la continuité des travaux de Jacques Stiennon – ou avec une analyse comparative de la production des archives et des manuscrits (en lien avec la thèse consacrée par Élisabeth Terlinden au scriptorium de Saint-Jacques de Liège).

2.2. Les humanités numériques. Dans ce domaine, des collaborations sont en train d’être tissées avec d’autres projets menés au sein des Archives de l’État, en vue de développer des outils de reconstitution numérique des archives comtales flamandes, lesquelles sont éclatées entre plusieurs fonds (REIGN. Reconstructing the Ghent knowledge center of the Counts & Countesses of Flanders, 11th-18th C.), ou pour favoriser l’utilisation d’outils de reconnaissance automatique des écritures anciennes (en lien avec le projet Topographies of Pardon Tales: Contextual Mapping of Pardon Letters in the Southern Low Countries, 15th-17th c.). Des pistes ont également explorées en vue de créer un instrument de travail qui permettrait de conserver une trace des documents médiévaux écoulés par des maisons de vente aux enchères. Ce programme n’en est toutefois qu’à ses balbutiements…

2.3. Sciences expérimentales. Fort de quarante années de recherche sur la literacy médiévale, les historiens sont désormais conscients qu’ils ne travaillent pas seulement sur des textes, mais aussi sur des artefacts (livres, rouleaux, etc.), dont les caractéristiques matérielles doivent être étudiés de près. Depuis le début des années 2010, grâce à de nouveaux procédés non-invasifs, il est désormais possible d’entrer « dans » la matière qui compose les matériaux de l’écrit (parchemin, encres ferro-galliques, cire, etc.) et de déterminer ses propriétés physico-chimiques. De premiers travaux ont livré des résultats intéressants à propos de la composition des encres noires médiévales ou de l’origine animale du parchemin (projet Pergamenum21, dédié à la production manuscrite de l’abbaye d’Orval). Le souhait serait de poursuivre de tels programmes et projets, en partenariat avec des équipes de recherche en sciences exactes.

3. Valorisation des fonds auprès du grand-public, des étudiants et des chercheurs

Le programmeimplique également la valorisation des fonds d’archives auprès du grand-public, des étudiants et des chercheurs. Ceci suppose, bien sûr, la publication de travaux et d’inventaires, la participation à des colloques, mais aussi l’encadrement d’unités d’enseignement dont le but est d’initier à la recherche ou aux sciences auxiliaires de l’histoire. Lors de l’année académique 2022-2023, des séances de travaux ont ainsi été organisés in situ, aux Archives de l’État à Namur, dans le cadre des cours d’« Heuristique du Moyen Âge » et de « Diplomatique » dispensés à l’Université de Namur et à l’Université de Liège. De la même manière, le « Séminaire d’Histoire du Moyen Âge » organisé en troisième année à l’Université de Namur a été consacré à l’abbaye Notre-Dame du Vivier (Marche-les-Dames). L’histoire de cette communauté de cisterciennes reste fort mal connue, malgré la présence d’un fonds d’archives particulièrement riche, notamment pour le XVe siècle. Le site monastique faisant actuellement l’objet de fouilles dans le contexte d’une rénovation des bâtiments (dir. Marie Verbeek et Pierre-Hugues Tilmant), l’occasion était belle de développer, avec les étudiants, une lecture croisée mêlant histoire et archéologie

D’autres formes de valorisation des travaux seront développées à l’avenir. On songe, notamment, à l’organisation d’expositions en lien avec l’actualité scientifique (comme l’anniversaire de la fondation d’une communauté religieuse, par exemple) ou à des ateliers permettant à des membres de sociétés savantes de se former aux sciences auxiliaires de l’histoire. Une autre piste impliquerait l’enregistrement de podcasts ou de MOOC dédiés aux sciences auxiliaires de l’histoire ou à des recherches en cours. De premiers jalons ont été posés en ce sens avec une participation au projet HECTOR, le podcast qui questionne la science, les pratiques et les positionnements scientifiques (dir. Céline Rase, UNamur) autour de la présence et des représentations du loup à l’époque médiévale. Cette intervention prendra place dans une série plus vaste consacrée à la réintroduction du loup en Wallonie, en lien avec un projet de recherche FRESH (FNRS) porté par Julie Duchêne et Isabelle Parmentier (UNamur). Le résultat sera à découvrir à la rentrée de septembre 2023 !

www.belspo.be www.belgium.be e-Procurement